Quotidien d'Oran 22 02 2012

 
Mahieddine Djoudi, université de Poitiers: «Les institutions académiques peu concernées en Algérie par le e-learning»
par Hafidh Abdelsalam

Le professeur Mahieddine Djoudi, enseignant-chercheur en TIC à l'université de Poitiers, travaille sur le e-learning. Il a co-publié sur le sujet et encadré plusieurs travaux universitaires en Algérie. Dans cet entretien, il retrace l'évolution du e-learning dans les pays en voie de développement, et des conditions de sa mise en œuvre en Algérie.

Comment évolue le e-learning dans les pays en voie de développement ?

Les développements technologiques gigantesques de ces dernières années ont ouvert des perspectives intéressantes à l'usage de l'e-learning. En permettant non seulement un accès à distance à des contenus pédagogiques, mais aussi des échanges entre les différents acteurs impliqués. Ces développements ont eu un impact direct sur les domaines de formations, et nous assistons depuis des années à l'émergence de projets régionaux, comme l'Université Virtuelle Africaine (UVA) financé par la Banque Mondiale, ou le campus numérique francophone initié par le sommet de la francophonie et confié à l'Agence universitaire de la francophonie (AUF).

Il existe aussi d'autres projets, comme l'Université Ouverte Arabe, lancée par le Programme du Golfe arabe pour les organisations de développement des Nations Unies (AGFUND) et enfin le projet Avicenne financé par l'Union européenne, piloté par l'UNESCO et qui a impliqué quinze pays du pourtour méditerranéen dont l'Algérie.

Mais, malgré les financements importants accordés à ces projets, les résultats n'ont pas été à la hauteur de l'investissement.

En Algérie, ce type d'enseignement n'est pas encore très répandu. Est-ce dû à un manque de moyens ou à l'absence de culture d'innovation ?

Depuis maintenant plusieurs années, l'Algérie a multiplié les initiatives pour favoriser l'accès à ces technologies en tant qu'outils modernes de communication et d'échanges. Mais si l'usage de l'Internet se généralise, son implication dans le développement économique reste très limitée. Ceci est sans doute dû, en grande partie, à l'absence d'une politique de formation et de recherche sur les moyens et les méthodes à adopter pour l'intégration de cette technologie dans les différents secteurs de l'activité économique et en particulier l'enseignement et la formation.

Des chercheurs ont travaillé sur la problématique. Plusieurs thèses de doctorats et de magistères consacrées au e-learning ont été encadrées en Algérie. Un réseau algérien de recherche dans le domaine, appellé «FormaTIC» (http://formatic.dzportal.net) est né. L'objectif de ce réseau est de répondre aux défis de la croissance du nombre des étudiants face au manque d'encadrement pédagogique, tenir compte des particularités sociales et linguistiques des utilisateurs algériens, permettre aux enseignants/chercheurs et aux étudiants de communiquer entre eux et avec l'étranger, et de partager tout type d'informations telles que les résultats de recherche, les cours, et les publications.

En 2010, nous avons contribué à la rédaction d'un livre sur les expériences du e-learning dans les pays émergents et en développement, en consacrant un chapitre entier à la situation du e-learning en Algérie.

Mais malgré les efforts consentis, nous constatons que très peu de recherches et d'études scientifiques ont été menées sur l'enseignement médiatisé et son implication dans le contexte algérien. Les institutions académiques ne se sentent pas réellement concernées par cet aspect.

Le e-learning va-t-il remplacer l'enseignement classique ou sera-t-il un rude concurrent ?

Le e-learning n'a pas vocation à remplacer l'enseignement classique, mais plutôt à servir comme un complément ou support. On parle de plus en plus de "Blended Learning" (apprentissage mixte) combinant l'enseignement classique en présentiel et l'enseignement à distance par la technologie. L'apprenant va ainsi alterner entre des sessions à distance en ligne et des sessions en face-à-face avec les formateurs. Un modèle souvent utilisé est ainsi d'effectuer une première introduction au sujet avec une ressource à distance, puis une période en face-à-face avec un enseignant suivra. Cette solution permet une optimisation des temps d'apprentissage, tout en en garantissant un excellent niveau de formation.

Une autre approche dite en "Overblended Learning" consiste à réaliser cet apprentissage mixte au sein d'une même séance de formation en la présence d'un formateur ou en mode distant via la visioconférence.

Le e-learning est-il plus efficace de l'enseignement classique ?

Le e-learning se décline, selon différents scénarii, entre celui de la transmission de contenu asynchrone, lié ou non à une formation présentielle, et celui d'une transmission de contenu et d'une interaction effectuées à distance entre le formateur et les apprenants.

Le e-learning suppose donc l'utilisation des nouvelles technologies du multimédia et de l'Internet afin d'améliorer la qualité de l'éducation et de la formation à travers l'accès à distance à des ressources et des services, ainsi qu'à des collaborations et des échanges.

La technologie constitue une source de motivation pour inciter l'apprenant à apprendre. De ce fait, le e-learning constitue sans aucun doute une solution des plus efficaces qui donne à l'apprenant plus de choix dans les méthodes, les moyens et les formes d'apprentissage et de ce fait augmenter son niveau d'acquisition du savoir.

Cette flexibilité peut se traduire dans la localisation des séquences pédagogiques (à domicile, dans l'entreprise, en centre de ressources), dans la gestion des durées et des horaires de formation qui tiennent compte des contraintes professionnelles ou sociales. Et, enfin, dans le rythme de progression et d'acquisition des connaissances et des compétences (formations modulaires, unités capitalisables, formations à "la carte", formations "sur mesure"...).

Pour rendre le e-learning accessible à tous les Algériens, y a-t-il des spécificités qu'il faut prendre en compte ?

Pour ce qui est du e-learning en Algérie, certains éléments à prendre en compte sont génériques et d'autres spécifiques. La prise en compte de la particularité sociale (travail en groupe), éducative (langue, pédagogie) et économique (parc informatique, état du réseau, coût, etc.) est indispensable. Afin de rendre le e-learning plus accessible, il est nécessaire d'opter pour une stratégie cohérente tenant compte des possibilités mais aussi des contraintes existantes.

Afin de généraliser l'usage de la technologie dans l'enseignement, il est primordiale de développer une politique de sensibilisation à l'usage des technologies et une formation des formateurs leurs permettant une certaine maîtrise dans la manière d'utiliser les outils informatiques, multimédias et de l'internet.

Il est également tout aussi nécessaire de développer un contenu numérique adapté. En effet un cours en ligne exige un scénario très charpenté et une présentation structurée. Une fois que l'information est accessible sur Internet, on n'obtient pas nécessairement un système d'apprentissage si l'on n'a pas réfléchi à la manière dont les apprenants vont prendre l'information et ce qu'ils vont en faire.

Et, enfin, l'indispensable intégration de la langue arabe dans la conception du contenu pédagogique et dans la mise en place de solutions e-learning, notamment dans les plates-formes logicielles, étant donné que l'enseignement en Algérie se fait de plus en plus dans cette langue.

 


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